COVID-19 : Et si tout commençait dans le ventre ?

L’intestin est le passage obligé pour 99% des éléments de l’environnement avec lesquels nous sommes en contact quotidiennement : ce que nous ingérons, mais également ce que nous inspirons. En effet, les mécanismes de défense non spécifiques des voies aériennes tels que la toux, les mouvements naturels des bronches font remonter les particules allergènes le long des bronches vers la cavité buccale pour être ensuite dégluties et se retrouver dans l’intestin.

Le système immunitaire de l’intestin est un organe lymphoïde secondaire, au même titre que les ganglions et la rate. Il est également constitué de globules blancs de type lymphocytes T et B parés à lancer une attaque en cas d’invasion  pathogène. Il n’est pas localisé à un endroit précis mais diffus sur toute la longueur du tube digestif.

Cette immunité intestinale est donc constamment sollicitée par ces allergènes environnementaux mais doit faire la différence entre les pathogènes et les bactéries bénéfiques de la flore intestinale qu’il doit laisser vivre en paix. Entre défense et tolérance, un équilibre est créé, sur lequel repose le fonctionnement du système immunitaire : c’est l’homéostasie.

La diversité des micro-organismes que nous logeons est aussi vaste que celle qui existe sur terre. Ainsi coexistent dans notre organisme, archées, bactéries, champignons, protozoaires et virus. Dominantes par leur nombre, les bactéries dites commensales « ne souhaitent » qu’une seule chose, l’harmonie avec leur hôte.  Nous leur offrons le gite et le couvert et en retour, elles nous permettent de vivre en bonne santé. Cette alliance à bénéfice mutuel s’appelle la symbiose.

Le SRAS‐CoV‐2 pénètre dans nos cellules en se fixant au récepteur de l’enzyme de conversion 2 de l’angiotensine (ACE2). Le chercheur Zhang et ses collaborateurs ont rapporté que l’ACE2 était fortement exprimée dans les cellules de l’œsophage, des poumons mais également abondamment exprimés au niveau des cellules intestinales du petit et gros intestin.

Dans une analyse des données d’une étude de Hong Kong de patients atteints de COVID-19, ils ont constaté que 17,6% des patients atteints de COVID-19 présentaient des symptômes gastro-intestinaux. Le virus a été détecté dans les échantillons de selles de 48,1% des patients, même dans les selles prélevées à la suite d’une guérison attestée par des échantillons respiratoires négatifs.

Pris ensemble, ces résultats suggèrent que le SRAS-CoV-2 peut infecter et se répliquer activement dans les intestins. 

De plus, une étude antérieure sur le précédent coronavirus de 2003 (le SRAS-CoV-1) a indiqué que le virus pouvait toujours être détecté après 30 jours dans les selles des patients atteints. La diarrhée était également un symptôme courant et parmi les patients atteints de ce coronavirus à Hong Kong, environ 20% avaient une diarrhée.

A Hubei en Chine, les symptômes digestifs sont courants en plus de la fièvre et des symptômes respiratoires et sont signalés chez près de la moitié des patients COVID-19 se présentant à l’hôpital. Il souligne également que rares sont les cas présentant des symptômes digestifs en l’absence de symptômes respiratoires. De plus, les patients sans symptômes digestifs étaient plus susceptibles d’être guéris et sortis que les patients présentant des symptômes digestifs.

De plus, les patients COVID-19 présentant des symptômes digestifs montrent des signes de lésions hépatiques contrairement à ceux sans symptômes digestifs, soulignant l’importance d’inclure des symptômes tels que la diarrhée pour diagnostiquer COVID-19 au plus tôt.

Les causes de la diarrhée sont bien issues d’un déséquilibre des fonctions intestinales

  • Les cellules intestinales exprimant l’ACE2 sont envahis par le virus, ce qui entraine une mauvaise absorption des nutriments et un  dysfonctionnement du système nerveux intestinal qui, finalement provoque la diarrhée.

« Aujourd’hui, nous savons que 200 millions de neurones sont présents au niveau de l’intestin et que ce système nerveux entérique communique de manière étroite avec le système nerveux central » Lire L’axe intestin-cerveau : un lien permanent

De plus, le récepteur ACE2 intestinal est nécessaire pour l’absorption du tryptophane, un acide aminé essentiel à la production de vitamine B3. Si les récepteurs ACE2 intestinaux sont pris d’assaut par le virus, une carence en vitamine B3 peut donc entrainer une inflammation intestinale.

  • Le virus endommage indirectement le système digestif par une chaîne de réponses inflammatoires.
  • Ces réponses inflammatoires peuvent entrainer des modifications dans la composition et la fonction de la flore intestinale encore appelée microbiote intestinal.

Bien que les données de l’impact du COVID-19 sur le microbiote intestinal soient rares, une petite série de cas en provenance de Chine a révélé que certains patients atteints de COVID-19 présentaient une dysbiose (déséquilibre de la flore intestinale) avec une diminution des Lactobacillus et Bifidobacterium.

 

L’intestin est le plus grand organe immunitaire du corps

Les changements dans la composition et la fonction de la flore intestinale affectent les voies respiratoires. De même,  les troubles de la flore des voies respiratoires affectent également les intestins au travers d’un axe appelé  «l’axe intestin-poumon».

Il est important de comprendre la diaphonie et la collaboration entre le tractus gastro-intestinal et les voies respiratoires aux niveaux immunitaire et microbien. De nombreuses études ont montré que des fluides, des particules ou même des micro-organismes déposés dans la cavité nasale des souris peuvent également être trouvés dans les intestins peu de temps après.

Par conséquent, l’intestin sera finalement exposé à tout agent pathogène, encore appelé antigène, introduit dans le système respiratoire. Cela suggère également que le système immunitaire intestinal peut servir de capteur principal des antigènes étrangers tels que les virus. Surtout, des perturbations de l’équilibre intestinale et des altérations de la microflore pourraient avoir des effets drastiques sur les réponses immunitaires des poumons.

Il y a donc bien une communication entre l’intestin et les poumons qui leur permet une régulation mutuelle des réponses immunitaires. Les globules blancs activés au niveau des intestins peuvent circuler et atteindre la muqueuse des poumons. De même, les lymphocytes activés au niveau du tractus respiratoire seraient capables d’arriver jusqu’à la muqueuse intestinale.

Cela pourrait expliquer pourquoi les patients COVID-19 atteints de pneumonie présentent souvent des symptômes digestifs.

Sur la base de ces observations, il serait judicieux de se demander si un microbiote intestinal équilibré peut moduler  la réponse inflammatoire au niveau des poumons ?

Deux essais contrôlés randomisés ont montré que des patients gravement malades sous ventilation mécanique recevaient des probiotiques (Lactobacillus rhamnosus GG, Bacillus subtilis et Enterococcus faecalis) ont développé beaucoup moins de pneumonie associée au ventilateur que le placebo.

Mais que se passe-t-il lorsqu’en plus d’avoir un microbiote intestinal déséquilibré, le patient COVID-19 présente une hyperperméabilité intestinal ?

C’est une question qui mériterait la réflexion de tous les chercheurs travaillant sur ce virus. Toutefois, l’inflammation causée par l’entrée du virus cumulée à la dysbiose existante ne serait pas des conditions favorables à la modulation de la réponse inflammatoire au niveau des poumons par les cellules immunitaires entériques. De plus, la porosité intestinale pourrait engendrer une translocation, un passage des molécules pro-inflammatoires produites dans l’intestin vers la circulation pulmonaire.

Selon Ichinohe et ses collaborateurs, il est évident que le microbiote intestinal joue un rôle crucial dans la régulation et la réponse immunitaire aux infections virales respiratoires.

Les données expérimentales démontrent par ailleurs que les probiotiques sont également capables de moduler la réponse immunitaire en diminuant la production de cytokines Th2 comme l’IL-4, IL-5, IL-6 et IL-10. La tempête inflammatoire des cytokines pro-inflammatoires mise en évidence dans phase aigues de la maladie COVID-19 pourrait donc moduler grâce aux probiotiques.

En effet,  les acides gras à courtes chaines sont des molécules santé produites par le microbiote intestinale. En effet, ces acides butyrique, acétique et propionique exercent de vastes activités anti-inflammatoires qui pourraient protéger les poumons en rétablissant l’équilibre de la réponse immunitaire.

Toutefois, tous les probiotiques ne se valent pas. Idéalement choisissez un symbiotique c’est-à-dire un mélange de souches probiotiques et de fibres avec un minimum de 15 souches probiotiques associées à 2 fibres prébiotiques ainsi que des vitamines.

 

 

Sources

-Aroniadis, O.C., et al., Current Knowledge and Research Priorities in the Digestive Manifestations of COVID-19. Clinical Gastroenterology and Hepatology, 2020.

-Cheung, K.S., et al., Gastrointestinal Manifestations of SARS-CoV-2 Infection and Virus Load in Fecal Samples from the Hong Kong Cohort and Systematic Review and Meta-analysis. Gastroenterology, 2020.

-D’Amico, F., et al., Diarrhea during COVID-19 infection: pathogenesis, epidemiology, prevention and management. Clinical Gastroenterology and Hepatology, 2020.

-Frei, R., M. Akdis, and L. O’Mahony, Prebiotics, probiotics, synbiotics, and the immune system: experimental data and clinical evidence. Current Opinion in Gastroenterology, 2015. 31(2).

-Frei, R., M. Akdis, and L. O’Mahony, Prebiotics, probiotics, synbiotics, and the immune system: experimental data and clinical evidence. Current Opinion in Gastroenterology, 2015. 31(2): p. 153-158.

-Feng, Z.; Wang, Y.; Qi, W. The Small Intestine, an Underestimated Site of SARS-CoV-2 Infection: From Red Queen    

                Effect to Probiotics. Preprints 2020, 2020030161

– Gao, Q.Y., Y.X. Chen, and J.Y. Fang, 2019 Novel coronavirus infection and gastrointestinal tract. Journal of

  Digestive Diseases, 2020. 21(3): p. 125-126.

– Garg, M., B. Christensen, and J.S. Lubel, Letter: Gastrointestinal ACE2, COVID-19 and IBD – opportunity in the face  

  of tragedy? Gastroenterology, 2020.

– Ghosh, S.S., et al., Intestinal barrier function and metabolic/liver diseases. Liver Research, 2020.

– Giamarellos-Bourboulis, E.J., et al., Complex Immune Dysregulation in COVID-19 Patients with Severe Respiratory

  Failure. Cell Host & Microbe, 2020.

– Hajifathalian K, Mahadev S, Schwartz RE, Shah S, Sampath K, Schnoll-Sussman F, Brown Jr RS, Carr-Locke D, Cohen

   DE, Sharaiha RZ. SARS-COV-2 infection (coronavirus disease 2019) for the gastrointestinal consultant. World J   

   Gastroenterol 2020; 26(14): 1546-1553

– Isidro, R.A., et al., The Probiotic VSL#3 Modulates Colonic Macrophages, Inflammation, and Microflora in Acute Trinitrobenzene Sulfonic Acid Colitis. Journal of Histochemistry & Cytochemistry, 2017. 65(8): p. 445-461.

-Jayawardena, R., et al., Enhancing immunity in viral infections, with special emphasis on COVID-19: A review.

  Diabetes & Metabolic Syndrome: Clinical Research & Reviews, 2020. 14(4): p. 367-382.

-Mak, J.W.Y., F.K.L. Chan, and S.C. Ng, Probiotics and COVID-19: one size does not fit all. The Lancet

  Gastroenterology & Hepatology, 2020.

-Mao, R., et al., Responding to COVID-19: Perspectives from the Chinese Society of Gastroenterology.

 Gastroenterology, 2020.

-Musa, S., Hepatic and gastrointestinal involvement in coronavirus disease 2019 (COVID-19): What do we know till

 now? Arab Journal of Gastroenterology, 2020. 21(1): p. 3-8.

-Pan, L., et al., Clinical Characteristics of COVID-19 Patients With Digestive Symptoms in Hubei, China: A Descriptive,

  Cross-Sectional, Multicenter Study. The American journal of gastroenterology, 2020. 115: p.

  10.14309/ajg.0000000000000620.

-Samuelson, D.R., D.A. Welsh, and J.E. Shellito, Regulation of lung immunity and host defense by the intestinal

 microbiota. Frontiers in Microbiology, 2015. 6(1085).

-Tian, Y., et al., Review article: gastrointestinal features in COVID-19 and the possibility of faecal transmission.

  Alimentary Pharmacology & Therapeutics, 2020. 51(9): p. 843-851.

– Wei, X.-S., et al., Diarrhea is associated with prolonged symptoms and viral carriage in COVID-19. Clinical

   Gastroenterology and Hepatology, 2020.

– Wong, S.H., R.N. Lui, and J.J. Sung, Covid-19 and the digestive system. Journal of Gastroenterology and

   Hepatology. n/a(n/a).

– Xu, B., et al., Suppressed T cell-mediated immunity in patients with COVID-19: A clinical retrospective study in

   Wuhan, China. Journal of Infection, 2020.

– XU Kaijin, C.H., SHEN Yihong, NI Qin, CHEN Yu, HU Shaohua, LI Jianping, WANG Huafen, YU Liang, HUANG He,

   QIU Yunqing, WEI Guoqing, FANG Qiang, ZHOU Jianying, SHENG Jifang, LIANG Tingbo, LI Lanjuan, Management

   of corona virus disease-19 (COVID-19): the Zhejiang experience. J Zhejiang Univ (Med Sci), 2020. 49(1): p. 0-0.

-Zhang, H., et al., Specific ACE2 Expression in Small Intestinal Enterocytes may Cause Gastrointestinal Symptoms and   

  Injury after 2019-nCoV Infection. International Journal of Infectious Diseases, 2020.